30 ans et le Rwanda

Le mois dernier j’ai eu 30 ans et ce mois-ci on commémore le génocide des Tutsis au Rwanda.

Je n’ai « aucun » rapport avec ce génocide. Personne dans ma famille n’est lié à ce pays. Pourtant, pour une raison qui m’échappe, je m’en suis toujours sentie très « proche ». Pour le dire autrement, je me sens très concernée par cet évènement, peut-être justement parce qu’il a eu lieu l’année de ma naissance… et pourtant, pendant longtemps je n’en ai pas su grand chose. La commémoration très médiatisée ces jours-ci me le fait d’autant plus ressentir.

J’essaie de me souvenir quand j’ai entendu parler de ce génocide pour la première fois et je ne trouve pas. En parle-t-on au collège ? Au lycée ? Est-ce que j’ai lu à cette époque des documentaires ou fictions sur le sujet ? Je ne me souviens de rien de précis.

J’ai l’impression d’en avoir entendu parler il y a assez longtemps (en famille – sûrement – et/ou par l’école) mais je n’en garde que des idées très floues.

1994, Hutus et Tutsis, massacres à la machette, mémorial d’ossements. Ok.

Mais qui était qui ? Qui avait fait quoi ? Où, comment, quand, pourquoi ? Je ne me souvenais jamais qui était majorité ou minorité, qui bourreau qui victime, qui « avait commencé » et pourquoi, pourquoi ? Est-ce qu’il n’y avait que des « méchants -bourreaux » d’un côté et des « gentils – victimes » de l’autre ? Ou bien un cercle vicieux de massacres appelant d’autres massacres ? Rien n’était clair. J’avais aussi – déjà- l’idée confuse que le rôle de la France n’était pas net.

Pourtant, je crois que je n’en ai vraiment appris plus que ces 2 dernières années. En regardant une série sur Arte, en écoutant France Culture (Une histoire particulière ; Les pieds sur terre mais surtout cette matinale), en lisant « Murambi : le livre des ossements » (malheureusement la lecture est rentrée en collision avec une période familiale compliquée, je l’ai abandonné en route) puis avec ce reportage de La Croix.

(Si vous ne voulez vous noyer dans tout ça, écoutez juste la matinale, 30 minutes tellement éclairantes.)

Ça m’interroge beaucoup cette connaissance et méconnaissance mêlées. D’où je tenais ces connaissances et pourquoi avec tant de trous et d’approximations ? Comment est-il possible qu’on en parle si peu à l’école ? (Au collège je ne sais pas, mais si on en avait parlé au lycée -vraiment parlé- je m’en serais souvenue). Ça me semble complètement fou, ce silence. (Je sais, l’Histoire c’est éminent politique. Mais ça me surprend encore énormément).

1994, Hutus et Tutsis, massacres à la machette, mémorial d’ossements. C’est tellement cliché, caricatural, grossier. Mais c’est vraiment tout ce qui remonte quand j’interroge mon niveau de connaissances sur le sujet il y a 2 ans, avant les documentaires et fictions cités au-dessus. Pourquoi cette méconnaissance alors que ce sujet m’intéresse depuis longtemps ? Pourquoi je n’ai pas creusé cette question plus tôt ? Ou alors, pourquoi j’ai oublié ? Est-ce qu’on peut faire l’autruche ou oublier par traumatisme collectif ?


J’ai un souvenir flou de master 2, un cours au Musée de l’Homme (à Paris), on visitait l’exposition Nous et les autres. Des préjugé au racisme, en groupe. Au cours de la visite, l’une de nous, originaire d’Afrique Noire, a réagi sur le texte écrit à propos du génocide au Rwanda. Je regrette de ne pas me souvenir ce qu’elle a dit. Je me souviens seulement qu’elle a soulevé un point de débat et que notre guide a balayé la question assez rapidement que « si si, c’est ça l’Histoire, c’est ça les faits, c’est soutenu par de nombreux historiens ». Je me souviens de cette impression qu’elle a étouffé le sujet parce que débat sensible. Ça touchait probablement l’étudiante de près et ce n’était (peut-être) pas un temps approprié à ce débat-là. Je n’avais pas alors les connaissances pour comprendre vraiment et donc pour me souvenir précisément. Aujourd’hui je m’interroge : quel était ce point de débat (les dates et/ou le « qui » ?) et qui de l’étudiante ou de la guide (et le musée) avait une vision faussée ?

Dans une exposition sur le racisme et les préjugés, il me semblerait assez approprié que le musée ait parlé de la distinction toute construite des Hutus et Tutsis (qui ne sont en réalité que des Rwandais, partageant une même langue, une même religion et un même territoire). Je regrette alors qu’on ait pas eu un temps posé pour des éclaircissements. Ça aurait été fort bienvenu, et fort approprié.


Voilà qu’arrivent les jours anniversaires, et toute la couverture médiatique qui va avec, toutes les émissions radiophoniques qui en parlent. Ce n’est pas un reproche, j’ai l’impression qu’enfin on en parle et qu’enfin je comprends.

J’ai 30 ans et j’apprends que « Hutus » et « Tutsis » ce ne sont pas 2 ethnies. Non, « juste » 2 classes sociales différentes qui ont été construites et distinguée lors de la colonisation (distinction conservée et instrumentalisée ensuite). J’ai 30 ans et j’apprends/comprends que l’idée du « double génocide » (auquel j’ai cru un temps, un peu confusément) n’est qu’un effet de négationnisme… en 30 minutes, tout prend plus de sens. (Un grand merci à Hélène Dumas, Scholastique Mukasonga et Dominique Célis !)

Au Rwanda on ne parle plus de « Hutus » et « Tutsis » mais de « bourreaux » et « victimes ». Je me demande pourquoi on ne peut pas aussi en France abandonner cette distinction stérile pour utiliser les vrais mots qui signifient quelque chose : bourreaux et victimes, c’est clair. En opposant les Hutus et les Tutsis ne perpétuons-nous pas une distinction artificielle, coloniale, et dangereuse ? Je ne peux m’empêcher de penser que le maintien de cette distinction permet d’avoir « moins mal ». Un peuple s’extermine lui-même (même langue, même territoire, même religion), comment le comprendre ? Pour le comprendre, il faudrait admettre qu’on est responsables de cette construction sociale.

Plus j’en apprends et plus je suis scandalisée / terrifiée / peinée par le rôle de la France dans ce génocide et ses suites. La France comme empire coloniale, la France et son armée, la France et sa protection bien ciblée, la France et son négationnisme crasse. J’ai mal à mon pays, et honte.

Plus j’en apprends et plus je suis admirative de la force des Rwandais qui se reconstruisent après un tel traumatisme (traumatisme individuel et collectif, familial et national). 30 ans, c’est si peu.

Avec la commémoration de ce génocide et ces émissions radio, je me rappelle – si besoin était – de l’importance de l’Histoire. L’Histoire et les archives, les témoignages, la parole, l’écoute.

Heureusement ou malheureusement, 30 ans après on en parle… toujours ? encore ? enfin ?

30 ans après on en parle.

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