Ce besoin de modèles et de similitudes

Je ne sais absolument pas comment commencer.

Revenons donc aux bases que j’ai déjà dites 100 000 fois. J’ai une Infirmité Motrice Cérébrale (IMC) C’est la conséquence d’un manque d’oxygène à la naissance à cause de la prématurité.

Les IMC ne sont pas rares, elles ont toutes plus ou moins la même cause : c’est la plupart du temps un manque d’oxygène (un défaut d’irrigation sanguine du cerveau), avant, pendant ou peu après la naissance ; elles peuvent aussi être une « simple » conséquence de la prématurité sans qu’un événement particulier de manque d’oxygène n’est été constaté (à cause de l’immaturité des poumons et du cerveau au moment de la naissance) ou aussi d’un traumatisme crânien chez un tout petit enfant.

Ce manque d’oxygène (d’irrigation sanguine en fait) a des conséquences similaires et pourtant très variées : une partie des circuits sont détruits. Selon l’étendue des dégâts et selon les sphères touchés les symptômes seront différents. Classiquement, on classe les IMC parmi quelques catégories. Les hémiplégies (la partie droite ou la partie gauche du corps est touchée) ; les quadriplégie (les quatre membres sont sévèrement touchés) ; les diplégies (les membres inférieurs sont les plus atteints mais les membres supérieurs peuvent aussi l’être dans une moindre mesure.) A ces différents schémas s’ajoutent tout un tas d’autres paramètres dont les troubles associés comme les dys. (Allez voir par-là pour un truc clair, et de référence.)

Bref, parmi tous ces IMC moi j’ai la une diplégie spastique : mes membres inférieurs sont en effet les plus atteints, et d’ailleurs eux seuls sont spastiques, mais aussi des problèmes de motricité fine et de rapidité au niveaux des membres supérieurs. A tout cela s’ajoute ma dyspraxie visuo-spatiale. (Ce sera tout pour moi, merci !)

La diplégie n’est pas une forme d’IMC rare, la prématurité et le manque d’oxygène a la naissance n’en est pas une cause rare. Que ce soit associé à un trouble dys n’est pas rare. Pourtant, pendant longtemps (et encore aujourd’hui mais dans une moindre mesure) je me suis sentie isolée. Pourquoi ?

D’abord parce que la variété des situations d’IMC est infinie. Elles sont regroupées en catégories mais aucun n’est véritablement similaire à une autre. Parce que le degré d’atteinte est différent, parce que la spasticité est plus ou moins forte, parce chez certains c’est plutôt la gauche chez d’autre plutôt la droite, parce que chez certains il y a trouble dys (et il y a le choix) chez d’autres non.

En plus de ça, la diplégie spastique c’est courant, mais souvent à des degrés plus forts que moi. J’ai marché très tôt, je peux marcher sans aide pendant assez longtemps et ma spasticité est légère à moyenne. Il semblerait que ce soit beaucoup moins courant. Et surtout beaucoup moins visible.

Bref, la multitude des IMC c’est un peu comme tous les brins de paille d’une botte de foin et moi je cherchais l’aiguille, enfin la deuxième aiguille quoi.

Pour voir d’autres personnes ayant une IMC pas de problèmes, vraiment aucun. J’ai connu C. au Sessad (aux alentours de mes 8 ans), A. aux scouts (à 11 ans), puis après mon déménagement il y avait une dame chez mon kiné, puis P. au Sessad (et de multiples autres beaucoup plus gravement atteints que je ne connaissais pas vraiment), M. au lycée (elle était en prépa), puis en arrivant à Paris j’ai connu Me, puis Ma, et aussi M…)(tout le monde a un prénom qui commence par M, ça suffit !) Et je ne compte pas les nombreuses personnes que j’ai diagnostiquées IMC en les croisant dans la rue (surtout depuis que je suis à Paris) ni mes nouvelles connaissances virtuelles.

Bref, j’en connais un paquet. Pourtant dans ce bouquet aucune comparaison n’a trouvé grâce à mes yeux. Reprenons dans l’ordre :

  • C ? D’abord à l’époque je ne me rendais pas compte qu’on avait toutes les 2 le même handicap. En plus elle marchait beaucoup plus sur la pointe que moi et fatiguait plus vite (elle utilisait parfois un fauteuil)
  • A ? Alors, elle, c’est probablement le cas le plus proche que j’ai pu rencontrer. Mais même si je me suis très vite « identifiée » à elle en la prenant comme modèle, je ne pouvais pas aller jusqu’au bout de la comparaison : elle avait 10/12 ans de plus que moi ! (Bref, elle était vieille !)
  • P. (au Sessad) et Me (à Paris) : elles sont hémiplégiques donc à la fois proches de moi (c’est une IMC, et dans une forme relativement légère) et en même temps éloignées (e n’ai pas du tout la même problématique de spasticité au niveau du membre supérieur.)
  • M (de la prépa) ? : je me suis sentie très proche d’elle par les centres d’intérêts mais très clairement elle était beaucoup plus atteinte que moi, elle avait du mal à parler, beaucoup plus de problèmes de motricité fine et utilisait un déambulateur pour se déplacer.
  • Finalement la plus proche de ma situation c’est Ma : on marche toutes les 2 sans aide, on a toutes les 2 des problèmes de motricité fine, d’équilibre, à peu près la même démarche… Et pourtant même avec tout ça je ne peux pas mener la comparaison au bout. Je porte la plupart du temps des attelles (même si je pourrais m’en passer), elle jamais. En revanche, elle prend plus l’ascenseur que moi et prend plus souvent un fauteuil (quand moi je n’ose pas le demander, elle si, en gros.) J’écris à la main et elle à l’ordi. Ces différences sont minimes et si ça se trouve elles sont plus dues à une différence d’expérience et de rééducation qu’à une différence de degré de handicap. Mais récemment l’annonce qu’elle allait avoir une opération pour les membres supérieurs m’a un peu refroidie… En plus de ça, ça n’est pas sa première. Les opérations, c’est le truc qui coupe directement court à la comparaison. Le truc que je n’ai jamais vécu. (En plus on me l’a proposé une fois pour les hanches mais jamais pour les membres supérieurs, ya pas besoin.)

Tout ça pour dire qu’il y a une sorte de soif de trouver un semblable dans la différence qui n’est jamais assouvie.

Comme pour se dire que oui, il y a quand même dans notre différence une forme de normalité. Ou comme pour se dire qu’on est légitime dans cette différence. (Depuis que j’ai appris pour cette opération je n’arrête pas de me répéter que elle, elle n’a pas de dyspraxie… Comme si je faisais un concours du plus handicapé, je m’auto-énerve prodigieusement.) Comme un besoin d’avoir une délimitation claire du handicap avec une liste de symptômes aux contours bien nets qui n’interagissent pas avec les compétences. (Un truc bien manichéen : tu marches/tu marches pas, tu peux bouger la main ou pas, etc) C’est aussi par besoin de partager des expériences similaires, de trouver quelqu’un qui nous comprend.

Depuis que j’ai pris conscience que c’était rechercher une aiguille dans une botte de foin, je fais le deuil de ce jumeau de différence. Je me résigne à ne jamais rencontrer une autre personne ayant une diplégie spastique légère qui marche avec des attelles en carbone (je n’en ai encore jamais rencontré !! Bon en même temps, c’est caché par les vêtements, je l’ai peut-être croisé incognito), sans avoir eu d’opérations, et qui a aussi une dyspraxie.

Je suis en train de lire L’Éloge de la faiblesse d’Alexandre Jollien. C’est un écrivain-philosophe qui a une IMC et qui base toute sa réflexion philosophique sur son expérience de vie. ça fait très longtemps que je suis attirée par ses écrits et tout aussi longtemps que je repousse le moment de le lire par crainte que cette figure « tutélaire » ne soit mise au pied du piédestal parce qu’il serait « trop différent de moi », trop éloigné de ma forme d’IMC. (En vrai, je le sais depuis longtemps, il a des troubles d’élocution donc déjà… ) Et en plus je commence fort : dans ce livre il raconte sa scolarité dans un établissement spécialisé. Bref, je vous l’ai dit, je suis en processus de résignation ! 😉

9 réflexions sur “Ce besoin de modèles et de similitudes

  1. Mon fils a une diplégie spastique dite la forme frustre. Parce que je ne trouvais pas grand-chose de rassurant sur le Net à ce propos et que je me disais que notre famille n’était pas la seule à vivre avec un enfant qui en était atteint, j’ai créé un blogue https://diplegiespastiquefrustre.blogspot.ca/ il y a une couple d’années.

    Bien contente de lire ceci aujourd’hui. J’ajoute un lien de mon blogue au tien pour ce bon billet.

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  4. lightdys

    Salut !
    Puisque nous parlons précisément de ça, je suis « comme toi » : j’ai une diplégie spastique légère et une dyspraxie visuo-spatiale ^^
    Je marche facilement, j’ai seulement une boiterie à la jambe (une démarche pas toute à fait normale, quoi) Je découvre ton blog suite aux conseils d’une amie qui également une diplégie spastique et une dyspraxie visuo-spatiale. Comme quoi, tu vois, non on n’est pas seuls ^^
    Je me reconnais énormément dans ton billet. Toute mon enfance, sans vraiment m’en rendre compte j’ai cherché un « comme moi ». Je me sentais isolée sans même m’en rendre compte. C’était devenu normal que je sois la seule personne handicapée de mon entourage et si je rencontrais une personne un peu différente (dyspraxique aussi, par exemple) nous avions des différences énormes dans nos difficultés. Pour ma part, je n’ai pas eu à en faire mon deuil finalement puisque j’ai finalement eu la chance de rencontrer une personne qui est dans une situation, pas identique, mais néamoins très proche de la mienne et avec laquelle je partage en outre, énormément de points communs par ailleurs et une vision de la vie semblable. On est sur la même longueur d’onde, je dirais. Nous sommes devenues très proches d’ailleurs Et c’est vraiment génial. Je te souhaite d’avoir cette chance un jour

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